La tendresse

Une amie me pose la question suivante : "qu'est-ce que c'est un câlin?" 
Ah ! Geste simple en apparence mais... comment l'expliquer ? 

Allez, je me lance. Le câlin est un geste entre humains (mais ça peut se voir dans le règne animal) qui consiste à se prendre dans les bras. Le geste peut être équilibré (les deux personnes à égalité) ou déséquilibré (l'un prend l'autre dans l'intention de câliner, l'autre se trouve en position de câliné). Première nuance introduite ! 

En effet répondre à la question n'est pas si simple. Au-delà de la description technique du câlin, se cachent des variantes. Des conditions. Des sensations. Pour mieux comprendre le câlin, j'ai choisi d'illustrer mon propos par des chansons.

Dans mes ateliers, je n'ai pas conservé le fil musical comme on peut le trouver en biodanza. L'objectif est de se centrer sur les sensations corporelles et au final d'entrer en "méditation". Le lâcher-prise apporté par le câlin ouvre la possibilité d'entrer dans cet état de conscience où l'on ne réfléchit plus : une mise en repos du cerveau bien méritée. Néanmoins l'apport de l'art pour comprendre et enjoliver l'action dans les câlins n'a pas à être rejetée totalement. La poésie est une approche différente qui ne peut que nous en apprendre un peu plus sur nous-mêmes.

L'une des chansons qui peut nous éclairer sur la question "qu'est-ce que c'est un câlin?", c'est la chanson "She-Wolf" de Jessie Mae Emphill. Grâce à une conversation avec la blueswoman française Tia Gouttebel, je peux vous dire que Jessie Mae se trouvait attirée par un chanteur nommé Howlin' Wolf. Ce chanteur avait écrit en 1956 une chanson intitulée : "Smokestack Lightning" ; Jessie Mae a voulu lui répondre en chanson en écrivant "She-Wolf", dans laquelle elle reprend l'imitation du cri du loup, comme une "louve", traduction du titre de la chanson. Un dialogue chanté qui n'aura pas d'effet, aux dires de Tia. Comme son penchant n'est pas réciproque, la chanson est un blues mélacolique, une plainte sur l'indécision de son partenaire.

Allwright

oh oh tell me babe, what you got on your mind ?
put on your head and let me cry 
ouh ouh ouh ouh...

hey hey come here babe, lay down in my arms
put on your head and let me cry  
ouh ouh ouh ouh...

ouh ouh ouh ouh
eh yeah eh yeah


hey hey tell me babe, what you want, me got two
put on your head and let me cry 
ouh ouh ouh ouh...

ouh ouh ouh ouh
eh yeah eh yeah

hey lone gone away babe, wont be back no more
put on your head and let me cry 
ouh ouh ouh ouh...

ouh ouh ouh ouh
eh yeah eh yeah

She-Wolf allwright
(relevé personnel, on ne trouve pas les paroles sur le net).

Dans ce cas de figure, nous sommes donc dans le besoin d'être "pris dans les bras" afin d'être rassuré, voire tout simplement d'avoir le sentiment d'exister...

Même époque mais autre style, la chanson de Bourvil : "La Tendresse" va nous en apprendre d'avantage...

On peut vivre sans richesse
Presque sans le sou
Des seigneurs et des princesses
Y'en a plus beaucoup
Mais vivre sans tendresse
On ne le pourrait pas
Non, non, non, non
On ne le pourrait pas

On peut vivre sans la gloire
Qui ne prouve rien
Etre inconnu dans l'histoire
Et s'en trouver bien
Mais vivre sans tendresse
Il n'en est pas question
Non, non, non, non
Il n'en est pas question

Quelle douce faiblesse
Quel joli sentiment
Ce besoin de tendresse
Qui nous vient en naissant
Vraiment, vraiment, vraiment

Le travail est nécessaire
Mais s'il faut rester
Des semaines sans rien faire
Eh bien... on s'y fait
Mais vivre sans tendresse
Le temps vous paraît long
Long, long, long, long
Le temps vous parait long

Dans le feu de la jeunesse
Naissent les plaisirs
Et l'amour fait des prouesses
Pour nous éblouir
Oui mais sans la tendresse
L'amour ne serait rien
Non, non, non, non
L'amour ne serait rien

Quand la vie impitoyable
Vous tombe dessus
On n'est plus qu'un pauvre diable
Broyé et déçu
Alors sans la tendresse
D'un coeur qui nous soutient
Non, non, non, non
On n'irait pas plus loin

Un enfant vous embrasse
Parce qu'on le rend heureux
Tous nos chagrins s'effacent
On a les larmes aux yeux
Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu...
Dans votre immense sagesse
Immense ferveur
Faites donc pleuvoir sans cesse
Au fond de nos coeurs
Des torrents de tendresse
Pour que règne l'amour
Règne l'amour
Jusqu'à la fin des jours

Ce texte est écrit par Noël Roux, mis en musique par Hubert Giraud.

Voilà un appel émouvant qui nous rappelle que "la tendresse vient en naissant" et que finalement tout au long de la vie, elle est bel et bien nécessaire !

Autre information à noter : "sans la tendresse l'amour ne serait rien". Ah voilà, donc : il y a une différence entre les deux concepts... 

Il est donc temps de décrire ce que c'est que la tendresse, à mon sens. 
Pour obtenir de la tendresse il nous faut trois ingrédients :
- de la bienveillance. Bien entendu indispensable, sans cela rien n'est possible !
- de l'empathie : le fait d'avoir le désir de partager des "affects" avec l'autre. Ces affects peuvent être divers et variés : rires, larmes, émotions musicales ou intellectuelles... 
- de la sollicitude : le penchant naturel qui nous donne envie d'aider l'autre, par tous les moyens, l'un d'entre eux étant le fait de le prendre dans ses bras.

La chanson de Bourvil nous dit : "vivre sans tendresse, le temps nous paraitrait bien long". Eh bien c'est juste, car lorsqu'on pratique les câlins, le temps émotionnellement vécu est différent de celui de la montre, c'en est renversant ! Une citation de Romain Gary pour confirmer ? " La tendresse a des secondes qui battent plus lentement que les autres".

Bourvil dit aussi : "tous nos chagrins s'effacent"... Voilà qui m'amène dans ce voyage musical au Québec où le chanteur Daniel Lavoie nous offre un magnifique titre : 
"Docteur Tendresse".

Appelle Docteur Tendresse,
Il guérit presque tout,
Il réconforte et il rassure
Les malades et même les fous.
Ah Docteur Tendresse !
Dans ta trousse que des câlins,
De la chaleur, presque du bonheur
Et des baumes anti-chagrin
Anti-chagrin.

Quand la nuit te fait trop peur
Et n'en finit plus de rajouter des heures,
Tu aimerais appeler ta mère,
Il ne te reste qu'une chose à faire.

Quand la mort te fait trembler
Et son grand trou noir pour l'éternité,
Y a plus de Dieu, y a plus d'enfer,
Il ne te reste qu'une chose à faire.

Appelle Docteur Tendresse,
Il guérit presque tout,
Il réconforte et il rassure
Les malades et même les fous.
Ah Docteur Tendresse !
Dans ta trousse que des câlins,
De la chaleur, presque du bonheur
Et des baumes anti-chagrin
Anti-chagrin.

Quand la vie te fait si mal
Que même la douleur devient banale,
Y a trop de noeuds dans tes viscères,
Il ne te reste qu'une chose à faire.

Docteur Tendresse,
Pour les caresses
Il te prend dans ses bras chauds
Et doucement juste ce qu'il faut.

Appelle Docteur Tendresse,
Il guérit presque tout,
Il réconforte et il rassure
Les malades et même les fous.
Ah Docteur Tendresse !
Dans ta trousse que des câlins,
De la chaleur, presque du bonheur
Et des baumes anti-chagrin
Anti-chagrin.

Appelle Docteur Tendresse,
Il guérit presque tout,
Il réconforte et il rassure
Les malades et même les fous.
Ah Docteur Tendresse !
Dans ta trousse que des câlins,
De la chaleur, presque du bonheur
Et des baumes anti-chagrin
Anti-chagrin.

Docteur Tendresse.

Texte de Daniel Lavoie, mis en musique par Daniel Lavoie et Alexis Dufresne - 2007

Eh bien voilà, le mot est lâché ! Le Docteur Tendresse a des câlins dans sa trousse et même des baumes anti-chagrin...

Le raisonnement est donc : "qu'est-ce que c'est un câlin?" Eh bien c'est le fait de prendre quelqu'un dans ses bras, pour que le câlin exprime corporellement la tendresse que l'on peut éprouver, tendresse composée d'un peu de bienveillance, d'empathie et de sollicitude ! Le tout, bien fait en conscience, est gage de guérison...

Nous avons constaté un peu plus haut avec Bourvil que la tendresse serait une composante de l'amour. Mais je serai curieux de savoir ce qu'en penserait Maurice Chapelan (journaliste, 1906-1992) qui disait "Peu de femmes inspirent la tendresse après l'amour, peu d'hommes ont la courtoisie de la feindre". Cela donne plutôt l'impression d'une déconnexion de la tendresse et de l'amour, en tous cas de l'amour physique, si j'interprète bien Maurice Chapelan.

Mais alors que dire de Jean-Louis Murat avec sa chanson "Plus vu de femmes" ?

On n'avait plus vu ces ports de têtes à midi
Autant vu d'étoiles au firmament
Jamais autant vu de colombines en taxi
Jamais autant vu finalement
Plus vu de femmes au monde incertain
Faire autant fi des lois de l'hymen
De femmes d'un monde nouveau
Plus vu de femmes nous laisser autant seuls
Aux commandes de la tendresse
De femmes... nous trouver si sots.
 
Jamais autant vu de colombines à minuit
Autant de chamades, finalement
Jamais autant vu de ces princesses qu'on baratine
Jamais autant vu finalement
Plus vu de femmes au monde incertain
Faire autant fi des lois de l'hymen
De femmes d'un monde nouveau
Plus vu de femmes nous laisser autant seuls
Aux commandes de la tendresse
De femmes... nous trouver si sots
 
Jamais autant passer de marquis à quidam
Autant vu de nomades à bigoudis
Jamais autant vu le paradis avec dames
Non jamais autant vu finalement
Plus vu de femmes au monde incertain
Faire autant fi des lois de l'hymen
De femmes d'un monde nouveau
Plus vu de femmes nous laisser autant seuls
Aux commandes de la tendresse
Des femmes... nous trouver si sots.

Parole et musique de Jean-Louis Murat
Artiste invité : Camille Dalmais
enregistré en 2003

"Plus vu de femmes nous laisser autant seuls aux commandes de la tendresse" : Jean-Louis Murat est un auteur formidable pour décrire l'amour et le désir. Avec sa voix suave il n'a pas d'équivalent. Il n'est malheureusement plus de ce monde pour nous donner l'explication de texte. Dommage j'aurai bien été sonner à sa porte à Orcival pour connaître le sens de sa chanson !